Témoignage de Guillaume, patron d’un entreprise qui développe des technologies de contrôle qualité

Ce témoignage provient de l’article « CAMARADES PATRONS » de l’excellent n°80 du journal Fakir (Mai-Juin 2017) :

« René, justement, met son nez dans ce poulailler. Il est médiateur pour le ministère du Travail. Quand deux entreprises se prennent le bec, elles peuvent faire appel à lui, qui fait la navette, organise des rencontres, propose des solutions amiables. « Une médiation, ça me prend entre une minute et un mois…Une minute ?Bah oui, des fois j’appelle, je fais le mec sérieux, je représente l’État. Le gars se dit que les impôts peuvent rappliquer derrière. Voilà, et dans ce cas-là ça se calme vite : ‘‘Excusez moi, c’est mon service comptable, on va régler ça …’’ »

« Maintenant, je comprends mieux : les juges des tribunaux de commerce sont élus parmi les chefs d’entreprises locaux. »

Mais parfois, faire la grosse voix ne suffit pas. Une de ses négos, en ce moment, est mal engagée. Il épaule Guillaume, une petite boîte de trois salariés, trente années d’existence, très pointue, qui développe des technologies de contrôle qualité pour les cimentiers, les meuniers, les sucriers, etc., qui se passionne sur la taille des grains. « Mon produit sert à faire le contrôle en fin de chaîne, c’est important mais pas absolument indispensable à la production. Donc, ça a été un des premiers postes de dépense à sauter. En 2008, je me suis pris la crise en pleine face. » Une entreprise affaiblie, les renards la flairent : « On avait une grosse commande, mais on savait qu’on était trop petits pour tout livrer dans les délais. Alors, on s’est associés avec le dirigeant d’une PME de cinquante personnes dans le sud de la France. Au début, je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient que le contrat soit sous la juridiction de sa ville. Maintenant, je comprends mieux : les juges des tribunaux de commerce sont élus parmi les chefs d’entreprises locaux. Ils ont tout commercialisé sans nous, ils se sont approprié nos recherches. Ils ont misé sur le fait que j’y perdrais ma chemise, et que je ne pourrais pas me défendre. »

« ‘‘Je m’en fous de la médiation, s’il veut aller au tribunal qu’il y aille. De toute façon, j’attends que sa boîte crève et après je le rachète.’’ »

Quand René, le médiateur, a tenté d’arrondir les angles, il a été reçu : « J’appelle l’entreprise, la grosse boîte. Et de l’autre côté je l’entends, le patriarche quoi, il devait avoir un gros cigare à la bouche : ‘‘Je m’en fous de la médiation, s’il veut aller au tribunal qu’il y aille. De toute façon, j’attends que sa boîte crève et après je le rachète.’’ Texto. » Guillaume n’en revient toujours pas : « On m’aurait dit ça… Moi, je pensais me faire avoir un jour mais par des Italiens, des Allemands, pas des gens de chez moi. » À la fois naïf et chauvin, Guillaume, lui qui croit au « réseautage », à « l’innovation », au « maillage du territoire », une France où les chefs d’entreprises, se serrant les coudes, relèveraient ensemble le « défi de la compétitivité »… »


Nous remercions chaleureusement la rédaction de Fakir, et son rédacteur en chef François Ruffin, pour nous avoir autorisé à publier ce texte ici.